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Extrait :
Andy Warhol n'est pas un grand artiste est en fait le titre le plus doux que je pouvais
trouver: Ce n'est ni une injure sur sa vie privée, ni la dénonciation d'une
«imposture», ni même le déni d'un statut d'artiste.
C'est seulement l'exposé d'un en semble d'arguments critiques que j'espère
convaincants, et dont je sais bien qu'aucun n'est définitif — à propos de cette
question hautement délicate, voire ineffable, qu'est la valeur d'un artiste.
Pas de polémique, donc, mais un peu d'ironie tout de même à écrire en lettres capitales cette phrase un peu balourde qui, sans se réfugier derrière une thématique brumeuse, se donne à lire pour ce qu'elle est : un jugement devaleur. Un jugement de valeur ni positif; ni totalement négatif et qui, esperant échapper à la caricature, est exactement modéré :
Andy Warhol n'est pas un grand artiste.
Et c'est donc avec un étonnement certain que, à partir de la publication de ce titre en mai 1990, j'ai dû prendre la mesure du consensus autoritaire qui régnait sur l'esprit «d'ouverture», de «remise en question», d'«élargissement des horizons» que ne cesse de proclamer le milieu de l'art contemporain depuis quarante ans : ce livre m'a valu neuf ans de traversée du désert.
Tout s'est passé comme si le monde de l'art avait fait sienne la discipline qui règne depuis toujours à l'université — où toutes les exégèses sont autorisées, mais à condition de ne jamais mettre en question la qualité des auteurs étudiés.
Comme s'il était désormais interdit de juger un artiste, dès l'instant que celui-ci était entré dans l'Histoire de l'art avec un grand H, même si c'était depuis la veille au soir. Comme s'il était devenu déplacé, voire «publicitaire» ou «warholien», de jouer son rôle de critique d'art. Je comprends aujourd'hui que ce n'est pas l'affirmation Andy Warhol n'est pas un grand artiste qui était la plus offensante, mais son sous-entendu, qui est pourtant bien vrai : contrairement à ce que tout le monde, ou presque, pense sur la scène internationale de l'art contemporain.
Dans ce milieu, on peut dire n'importe quoi, exposer n'importe quoi, écrire n'importe quoi, mais on n'a pas le droit de soutenir qu'Untel n'est pas un grand artiste si le sieur en question a des oeuvres dans les collections d'art moderne du monde occidental entier.
Soudain, aucune revue ne voulait plus de mes articles : ni BeauxArts, ni Galeries Magazine, ni Artstudio, ni le Journal des Arts.
Quelques-unes de mes conférences à Beaubourg furent huées par des inconnus. T............, qui me considérait pourtant comme «son meilleur lecteur», décida de ne plus m'adresser la parole. P..........., de qui je recevais de l'argent pour mettre en page ses pubs, se permit de me houspiller en plein vernissage de la FLAC, alléguant que «Si ce n'est même pas pour faire un best seller, c'est encore plus ridicule».
Un inconnu du nom de M..........., rencontré à Venise en 1993 dans le hall de l'exposition Duchamp, et à qui je tendais la main avec l'intention de le renseigner sur Duchamp, coupa court à notre entrevue :
«Je refuse de serrer la main à l'auteur d'un livre écrit contre Warhol».
Quant au ton des compte-rendus, il était si méprisant dans toute la presse professionnelle (à l'exception des colonnes d'art press) qu'on aurait dit que j'avais publié un ouvrage négationniste.
Et personne ne me répondait sur le terrain théorique qui était le mien. Mon essai sur François Boisrond et l'art contemporain (1996) fut bien sûr ignoré par toute la presse écrite sans exception, ce qui arrive en revanche à bien des auteurs.
Puis vint ma première chronique à Rive Droite Rive Gauche — en septembre 1999, jour de Kippour et date de mon «nouveau départ». Or, quelques jours plus tard, mon rédacteur-en-chef Patrice CARMOUZE reçut l'appel d'un journaliste inconnu de moi, responsable de la rubrique Arts aux Inrockuptibles, lequel lui déconseilla fortement de me garder comme chroniqueur... Tous ces faits sont bien sûr vérifiables.
Seuls Sébastien MAROT, Daniel SOUTIF, Frédéric TADDEÏ, Alain KRUGER, Pierre CARLES, Arnaud VIVIANT et Didier SEMIN continuaient de me soutenir — sans avoir besoin de partager mes idées.
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